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Guillaume Benoit énonce les sept observations-recommandations importantes du 7e SESAME adressées au 9e Forum mondial de l'eau

22/03/2022

Le 9e Forum mondial de l'eau se tient actuellement (du 21 au 26 mars 2022) à Dakar (Sénégal).

Pour contribuer à sa préparation, a été organisée fin octobre 2021 à Montpellier (Hérault), la 7e édition du Séminaire eau et sécurité alimentaire en Méditerranée (SESAME) intitulée : "Sur la route de Dakar et de l’Agenda 2030 (ODD). L’eau et le développement agricole et rural", à laquelle plusieurs membres de l'Académie d'agriculture de France ont participé, dont Guillaume Benoit, qui en a rédigé le rapport final

Pour en savoir plus sur ce SESAME, cliquer ici : https://www.academie-agriculture.fr/actualites/academie/lacademie-sera-t...

Pour le lire le rapport final du 7e SESAME, télécharger le fichier PDF, en bas de page.

Sept observations - recommandations sont ressorties des réflexions croisées Nord/Sud, durant ce 7e SESAME. Guillaume Benoit vient de les rendre publiques. 

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SUR LA ROUTE DE l’AGENDA 2030 : L’EAU, L’AGROECOLOGIE, LA TERRITORIALISATION DES POLITIQUES ET LE DEVELOPPEMENT RURAL PRINCIPALES OBSERVATIONS ET RECOMMANDATIONS DU « SESAME »

1/ La décennie 2020-2030 sera décisive à tous les niveaux : action climatique, ODD... Dans ce contexte, un combat est à mener au niveau international et dans la société pour faire mieux comprendre l’importance décisive de l’eau et des rôles multiples de l’agriculture ainsi que le besoin de passer du « faire » ou du « non-faire » au « faire avec » : avec la nature, avec les hommes et avec les territoires. La percée de l’agroécologie et la territorialisation des politiques sont autant d’avancées récentes à souligner. La crise mondiale actuelle constitue une fenêtre d’opportunité à saisir pour réussir des transformations à grande échelle.

2/ Le discours stratégique et politique sur l’eau doit aujourd’hui inclure les sols. Dans le monde de l’eau, on a tendance à ne parler que d’eau en oubliant le substrat qui est le sol. L’artificialisation et la dégradation des sols par érosion et salinisation est un problème grave. Conserver et améliorer les sols, c’est mieux y stocker l’eau pour l’utiliser quand elle fait défaut et c’est réduire les pertes par évaporation ; c’est renforcer l’infiltration et l’approvisionnement en eau des barrages et des nappes phréatiques et relever significativement les étiages et
c’est réduire l’érosion, les envasements et les inondations érosives.

3/ L’agriculture, intermédiaire essentiel dans la gestion intégrée de l’eau et des sols, est bien plus qu’un secteur parmi d’autres. Sa fonction alimentaire, le grand nombre d’emplois concernés, sa vulnérabilité au changement climatique et ses rôles multiples, dont celui de « pompe à carbone », ont conduit le GIEC à en souligner l’importance unique. Elle a un rôle majeur à jouer pour l’atteinte de l’Agenda 2030 : améliorer la fertilité des sols et conserver l’eau. Elle gagnera ainsi en résilience, réduira la demande en eau d’irrigation, produira plus de biens et de services, et renforcera ainsi nos sécurités collectives-alimentaires, hydriques et climatiques-. La « massification » de la gestion durable des terres, de l’agriculture de conservation des sols, de l’agroforesterie et d’autres systèmes agricoles intégrés durables, est d’importance stratégique.

4/ Mobiliser l’eau et l’irrigation pour le monde rural et le monde rural pour l’eau. Les ¾ des plus démunis de la planète sont des ruraux qui dépendent de l’agriculture pour leur subsistance. Or, il n’est pas d’agriculture possible sans eau et, dans de nombreux espaces ruraux, l’eau fait de plus en plus défaut. Dans bien des régions du monde, la petite irrigation joue aujourd’hui un rôle décisif en terme d’emplois, de préservation de la stabilité sociale et de maintien du milieu rural. Le renforcement « multi-usages » et « multi-solutions » de la
ressource en eau et le développement de la petite irrigation, lorsqu’ils sont possibles et réalisés dans de bonnes conditions, donnent à l’agriculture et aux territoires de la résilience face au sécheresses et de la durabilité. Ils représentent en outre un moyen puissant de l’atteinte de l’ODD 2 (cible 2.3 : « doubler d’ici 2030 la productivité agricole et les revenus des petits agriculteurs ») et de l’ODD 1 (pas de pauvreté). Au Sahel, où des technologies de mobilisation de la ressource en eau, accessibles aux petits producteurs, peuvent
être promues pour un développement de la petite irrigation à bonne échelle (> 1 million ha), la mobilisation de la ressource en eau et le développement économique qui en résulte déterminent pour une large l’atteinte de nombreux ODD dont le 1 (pas de pauvreté), le 6 (accès à l’eau potable…) et le 16 (paix).

Si l’eau doit mieux servir le monde rural, inversement les ruraux peuvent et doivent mieux servir l’eau. L’irrigation gravitaire peut assurer la recharge de nappes et le passage à l’irrigation économe en eau réduire les pressions sur les milieux tout en améliorant les revenus. Responsabilisés et rémunérés pour restaurer les terres et les biens communs dégradés, les ruraux seront moins pauvres et contribueront à « faire revenir l’eau » là où elle a disparu ou tend à disparaître. Le défi du changement climatique impose de nouvelles stratégies à double
gain amont (développement rural) / aval (restauration d’une hydrologie positive), notamment dans les montagnes rurales victimes de cercles vicieux de grande pauvreté et de dégradation de l’écosystème.

5/ Les « territoires de vie », la territorialisation des politiques, la gouvernance et les articulations/contaminations positives à établir entre niveaux (du local au national). La transformation agricole et rurale nécessite une mobilisation convergente de nombreux acteurs et une reconstruction cohérente de l’action collective et publique. Viser l’atteinte conjointe des ODD 2 (faim zéro, agriculture durable), 6 (eau), 13 (climat) et 15 (vie terrestre et aquatique -eau douce-, biodiversité) conditionne la capacité du « vivant » et de la bio-économie à servir de socle et de levier à la réalisation de l’Agenda 2030.

Le « territoire de vie » est un espace où les acteurs locaux - autorités locales et communautés rurales, responsables agricoles et agriculteurs innovants, ONG…- peuvent s’accorder sur les transitions à mener et sur des projets de territoires pouvant conjuguer une grande diversité d’actions. L’action publique et privée, adaptée à chaque contexte, y retrouve efficacité et cohérence. Le nécessaire « changement de braquet » impose d’agir à plusieurs niveaux, du local au national, en passant par la région et par le bassin versant, et de
réussir à se contaminer de façon positive entre niveaux. Des accords politiques doivent être trouvés et les lois, stratégies, planifications et soutiens publics mis en cohérence et adaptés en tant que de besoin.

6/ Les hommes et les femmes : le renforcement des capacités et du capital social est la clef de la durabilité
des territoires.
Les ruraux ont su avec le temps développer des savoir-faire individuels et collectifs précieux en termes de gestion des ressources naturelles, savoirs trop souvent méconnus. Ils ont aujourd’hui besoin de considération, d’être mieux écoutés et d’accéder à la responsabilité collective. La transformation rurale, par l’adoption de l’approche territoriale, implique en effet qu’ils puissent définir, planifier et financer des actions en les insérant dans une vision stratégique territoriale et gérer, ce qui suppose des dispositifs inclusifs de
gouvernance. Tout ceci nécessite une concertation véritable et d’y consacrer le temps nécessaire, ce qui est encore rarement le cas. La gestion en biens communs des ressources partagées - l’eau d’irrigation, les ressources pastorales- justifie d’institutions communautaires de gestion territoriale disposant de prérogatives et de capacités suffisantes. Le cas échéant, la réalité des usages des terres et des eaux dans les espaces de gestion collective doit être clarifié et reconnue et de telles institutions mises en place.

7/ Soutenir les transitions, c’est aussi financer du « soft » et les services rendus par les ruraux à l’eau, à l’environnement et au climat. La transformation rurale implique de financer de l’animation, de l’intermédiation, de la formation, des projets de territoires et bien d’autres actions et pas seulement des infrastructures. De nouveaux outils économiques gagneraient à être introduits en complément afin de financer ce qui est d’intérêt général majeur pour l’eau et que le marché ne rémunère pas. Avec des aides à la conversion vers l’agroécologie, bien des agriculteurs prendraient le risque du changement. Des paiements pour services environnementaux seraient bien utiles, par exemple pour compenser les coûts de la mise en repos temporaire de certains pâturages, récompenser et accroître l’augmentation du stock de carbone des sols ou encore mobiliser en période sèche les paysans pour qu’ils restaurent des biens communs dégradés (mares, bas-fonds…).

La transformation agricole et rurale ne se fera à grande échelle que si tous ceux qui peuvent et doivent y apporter leur contribution ont la capacité de s’investir et trouvent intérêt à agir.

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ON THE ROAD TO AGENDA 2030 WATER, AGRO-ECOLOGY, TERRITORIALISATION OF POLICIES AND RURAL DEVELOPMENT
« SESAME » MAIN OBSERVATIONS AND RECOMMENDATIONS


1/ The 2020-2030 decade will be decisive at all levels: climate action, SDGs... In this context, a battle must be waged at the international level and in society to increase understanding of the decisive importance of water and the multiple roles of agriculture, as well as the need to move from "doing" or "not doing" to "doing with": with nature, with people and with territories. The breakthrough of agro-ecology and the territorialisation of policies are recent advances to be highlighted. The current global crisis is a window of opportunity to be seized in order to achieve large-scale transformations.

2/ The strategic and political discourse on water must now include soil. In the world of water, there is a tendency to talk only about water, forgetting the substratum, which is the soil. Soil artificialisation and degradation through erosion and salinisation is a serious problem. Conserving and improving soils means storing water better so that it can be used when it is lacking and reducing losses through evaporation ; it means increasing infiltration and the supply of water to dams and water tables and significantly raising low water levels; and it means reducing erosion, silting and erosive flooding.

3/ Agriculture, an essential intermediary in the integrated management of water and soil, is much more than just another sector. Its food function, the large number of jobs involved, its vulnerability to climate change and its multiple roles, including that of a "carbon pump", have led the IPCC to stress its unique importance. It has a major role to play in achieving the 2030 Agenda: improving soil fertility and conserving water. It will thus become more resilient, reduce demand for irrigation water, produce more goods and services, and thus strengthen our collective security - food, water and climate -. The widespread-development of sustainable land management, conservation agriculture, agroforestry and other sustainable integrated farming systems is of strategic importance.

4/ Mobilise water and irrigation for the rural world and the rural world for water. ¾ of the world's poorest people are rural people who depend on agriculture for their livelihoods. Agriculture is not possible without water, and in many rural areas, water is increasingly in short supply. In many parts of the world, small-scale irrigation now plays a decisive role in providing jobs, maintaining social stability and sustaining the rural environment. The "multi-use" and "multi-solution" reinforcement of water resources and the development of small-scale irrigation, when possible and carried out under the right conditions, give agriculture and territories resilience to droughts and sustainability. They are also a powerful means of achieving SDG 2 (target 2.3: "double agricultural productivity and smallholder incomes by 2030") and SDG 1 (no poverty). In the Sahel, where water resource mobilisation technologies, accessible to small-scale producers, can be promoted for the development of small-scale irrigation on a good scale (> 1 million ha), the mobilisation of water resources and the resulting economic development largely determine the achievement of many of the SDGs, including SDG 1 (no poverty), SDG 6 (access to drinking water…) and SDG 16 (peace).

If water must better serve the rural world, conversely, rural people can and must better serve water. Gravity irrigation can ensure groundwater recharge and the transition to water-saving irrigation can reduce pressure on the environment while improving agricultural income. If they are made responsible and paid to restore degraded land and common goods, rural people will be less poor and will contribute to "bringing back water" where it has disappeared or is tending to disappear. The challenge of climate change requires new strategies with a double gain upstream (rural development) / downstream (restoration of a positive hydrology), especially in rural mountains that are victims of vicious circles of great poverty and ecosystem degradation.

5/ The "living territories", the territorialisation of policies, governance and the positive articulations and contaminations to be established between levels (from local to national). Agricultural and rural transformation requires the convergent mobilization of many actors and a coherent reconstruction of collective and public action. The joint attainment of SDGs 2 (zero hunger, sustainable agriculture), 6 (water), 13 (climate) and 15 (terrestrial and aquatic life - fresh water -, biodiversity) conditions the capacity of the "living" and the
bio-economy to serve as a basis and lever for the achievement of the 2030 Agenda.

The "living territory" is a space where local actors - local authorities and rural communities, agricultural leaders and innovative farmers, NGOs, etc. - can agree on the transitions to be carried out and on territorial projects that can combine a wide range of actions. Public and private action, adapted to each context, will find efficiency and coherence. The necessary "change of gear" requires action at several levels, from the local to the national, via the region and the watershed, and to succeed in contaminating each other in a positive way
between levels. Political agreements must be reached and laws, strategies, planning and public support must be made consistent and adapted as necessary.

6/ Men and women: capacity building and social capital are the key to the sustainability of territories. Over time, rural people have been able to develop valuable individual and collective know-how in terms of natural resource management, knowledge that is too often ignored. Today, they need to be considered, to be listened to better and to take collective responsibility. Rural transformation, through the adoption of the territorial approach, implies that they can define plan and finance actions by inserting them into a strategic territorial vision and managing them, which presupposes inclusive governance mechanisms. All of this requires genuine consultation and the necessary time, which is still rarely the case. The management of shared resources as common goods - irrigation water, pastoral resources - justifies community institutions for territorial management with sufficient prerogatives and capacities. Where appropriate, the reality of land and water uses in collective management areas must be clarified and recognised and such institutions set up.

7/ Supporting transitions also means financing the 'soft' and the services rendered by rural people to water, the environment and the climate. Rural transformation implies financing animation, intermediation, training, territorial projects and many other actions and not only infrastructures. New economic tools would gain from being introduced as a complement in order to finance what is of major general interest for water and which the market does not remunerate. With aid for conversion to agroecology, many farmers would take the risk of change. Payments for environmental services would be very useful, for example to compensate for the costs of temporarily resting certain pastures, to reward the increase of soil carbon stock, or to mobilise farmers in dry periods to restore degraded common goods (ponds, lowlands, etc.).

Agricultural and rural transformation will only take place on a large scale if all those who can and should contribute to it have the capacity to invest and find it in their interest to act.