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Raymond Février, membre de l'Académie d'agriculture de France, aura 100 ans le 15 novembre 2020

10/11/2020

Constant Lecoeur, Secrétaire perpétuel de la Compagnie et Philippe Mauguin, Académicien, PDG de l'Institut national de recherche pour l’agriculture, l’alimentation et l’environnement (INRAE), rendent ci-après hommage à leur "illustre aîné", à cette occasion.

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Raymond Février fêtera son centième anniversaire le 15 novembre prochain C’est avec l’estime et la considération que nous inspirent son parcours, et l’amitié qui nous lie à lui depuis une durée certes moindre, et néanmoins marquée du sceau de l’histoire elle aussi, que nous voulons lui transmettre tous nos vœux de santé et de sérénité.

S’il appartient à l’homme, en son for intérieur, de considérer ce que signifie pour lui ce siècle parcouru, il nous revient, à nous qui savons ce qu’il a accompli pour la recherche agronomique et pour l’agriculture françaises, de tenter d’en comprendre le sens au regard de l’histoire. Au reste, Raymond Février nous y a remarquablement aidés, ayant eu le soin de faire verser la collection complète des documents ayant jalonné sa carrière aux Archives nationales, et ayant offert à la Mission des archives orales de l’Inra, l’un de ses plus riches et de ses plus beaux entretiens biographiques (Archorales, Vol. 6, 2001). Généreux de son temps et de sa parole, il a également répondu favorablement aux requêtes du Comité d’histoire de l’Inra et grandement contribué à éclairer le passé de cette maison qu’il a dirigée entre 1975 et 1978.

S’il est un grand témoin de l’histoire du monde agricole et des sciences dévolues à son développement, aussi bien en France que dans le monde, c’est bien Raymond Février . Éveillé aux affaires du monde dans le contexte d’un Entre-deux-guerres de toutes les tensions, dans lequel la question du destin de l’agriculture et de l’accès des populations à l’alimentation était au cœur de tous les enjeux nationaux et internationaux, il s’est trouvé d’emblée impliqué dans les combats de la raison et de la justice, avec le choix de la voie de la science comme service rendu à la collectivité. Comment ne pas entendre l’écho de ce lointain passé dans le resurgissement de la question alimentaire dans notre monde confronté à une crise systémique sans précédent ? Le siècle de Raymond Février, n’est-ce pas justement celui de l’avènement géopolitique de la question alimentaire ?

Tôt dans les années 1930, le fils d’André Février, député socialiste du Rhône, en prise avec une « époque inquiète » (Manuscrit inédit, p. 4), se forge un cadre intellectuel pour une compréhension politique de la société. Contre l’extrême droite qui vend L’Action française devant le Lycée Ampère à Lyon, il s’engage à son tour dans le militantisme politique : « l’époque (1934) est favorable à la réflexion, à l’enthousiasme et à l’action politique », écrit-il (Manuscrit inédit, p. 3). La gauche socialiste devient sa famille politique, celle de la SFIO et du Front populaire, qui parviennent au pouvoir en 1936.

Le goût du combat partisan et l’attachement aux valeurs du mouvement social, Raymond Février ne les inféode pas à une carrière politique, mais il les investit dans une cause, celle du progrès par la science et la technique. Ce sont toutefois bien les principes qui priment chez lui, comme lorsque, étudiant à l’Agro de Paris sous l’Occupation, il choisit, contre l’avis de son père et au désespoir du directeur de l’école, de renoncer à entrer dans le corps des forêts, qu’il trouve « élitiste, voire arrogant, bref insupportable pour ma sensibilité » (Archorales, p. 11). Il renonce également au Génie rural, succombant, dit-il, « aux sirènes » du professeur de zootechnie André-Max Leroy, et à son dévouement pour le monde de l’élevage français. Si ce n’est pas d’emblée la recherche, qui a une image « ni séduisante, ni stimulante » (Archorales, p. 11) qui le motive, rapidement, « la vitalité, l’enthousiasme, la sympathie que dégageait le "Patron" m’ont fait voir la recherche sous un jour nouveau. Vraiment, malgré l’époque, nous étions heureux dans nos premiers balbutiements préscientifiques. J’ai ainsi pris goût progressivement à ce travail » (Archorales, p. 11). C’est d’ailleurs comme assistant d’André-Max Leroy que le jeune Raymond Février se rend pour la première fois à une séance de l’Académie d’Agriculture de France dans les mois qui suivent la Libération.

Ainsi, presque naturellement, en 1946, à la création de l’Inra, en devient-il l’un des tout premiers chercheurs en zootechnie. À partir de son premier poste, où il est chargé d’installer, dans le domaine forestier de Bois-Corbon dans le Val-d’Oise, la première station expérimentale de l’INRA consacrée à l’élevage, Raymond Février se consacre à mettre la recherche agronomique au service du progrès de l’agriculture, et notamment d’un secteur de l’élevage qui lui apparaît très en retard par rapport aux pays de l’Europe du Nord ou d’outre-Atlantique.

Dans ce moment fondateur de l’après-guerre, la recherche agronomique française, branche modeste du monde scientifique, mais de longue date connectée à des enjeux économiques, sociaux et politiques majeurs, offre aux jeunes ingénieurs un espace propice au développement d’un « style » scientifique singulier, nourri aussi bien de physique, de chimie et de biologie que de connaissance du monde rural et des enjeux des marchés agricoles, dessinant une voie originale de montée en compétence, au sein de laquelle recherche et expérimentation, science et action, forment des couples inséparables. Raymond Février incarne avec passion et efficacité cette voie du progrès scientifique et technique de l’élevage national. Partie de rien ou presque, la zootechnie française s’affirme, en deux décennies, comme l’un des écoles les plus dynamiques de la recherche internationale, croisant génétique, physiologie et technologie des produits animaux. Figure de proue de la recherche sur le secteur porcin, Raymond Février devient inspecteur général en 1961, et intègre la direction de l’Inra, au sein de laquelle son domaine de responsabilité s’étend. « Je portais le même titre que Jean Bustarret, mais en réalité, j'étais son adjoint. Il continuait à assumer la Direction scientifique de l’INRA et conservait directement la charge du secteur végétal. Il me confia le secteur zootechnique, puis progressivement - c'était sa méthode - le secteur des industries de la viande et du lait, puis l'économie et la sociologie, enfin une part croissante des relations internationales, fonctions que j’inaugurai en partant tout de suite en Tunisie pour renouveler la Convention de coopération. » (Archorales, p. 35).

Quand arrive, dans l’après-1968 et avec les débuts de la crise économique, le temps de la remise en cause de la modernisation agricole et du doute sur l’avenir des agriculteurs français dans la compétition économique européenne et mondiale, et que les pouvoirs publics, à partir de la présidence de Georges Pompidou, remettent en cause la fonction de la recherche publique comme aiguillon du développement agricole, la posture de Raymond Février se fait plus délibérément politique. C’est un homme clairement affiché à gauche que le gouvernement de Jacques Chirac nomme Directeur général de l’Inra en 1975. Mais c’est surtout en fidèle serviteur de l’État et en fervent promoteur de la recherche publique qu’il exerce les plus éminentes responsabilités à la tête d’un organisme qui compte désormais plus de 6 000 personnes, dont un millier de chercheurs. Très tôt conscient de l’importance de l’échelon européen pour offrir un espace de valorisation à la recherche agronomique et à l’agriculture françaises, Raymond Février s’affirme comme un pionnier de la structuration de la coopération scientifique communautaire. Si « la seule mention de la Recherche scientifique dans le Traité de Rome, concerne la recherche agronomique », « jusqu’en 1971, cette disposition était restée largement lettre morte », rappelle-t-il (Archorales, p. 87). C’est sous l’action conjuguée des principaux acteurs de la recherche agronomique européenne, au premier rang desquels Raymond Février, qu’est créé, dès 1974, le Comité Permanent de la Recherche Agronomique (CPRA), plus connu aujourd’hui sous son acronyme anglais de SCAR (Standing Committe for Agricultural Research).

Malgré l’importance des enjeux qui touchent les relations entre l’agriculture, l’innovation scientifique et technique, l’industrie et la société, aux échelles nationale et européenne, Raymond Février ne parvient pas à convaincre le gouvernement français de la nécessité de mieux doter la recherche publique. Il fait alors à nouveau un choix de principe, contre sa propre carrière : ne voyant plus comment il peut assurer la pérennité des engagements de son institut, il donne sa démission du poste de directeur de l’Inra en janvier 1978, se consacrant dès lors à la présidence du conseil scientifique du CIHEAM (Centre International des Hautes Études Agronomiques Méditerranéennes), qui « sans contestation, …a contribué à l'émergence d'une réflexion collective sur l'avenir de l'agriculture et de l'alimentation dans la région » (Archorales, p. 101). Les questions de développement, au Nord et au Sud, du rôle de la recherche et de ses applications par ceux qu’il estime devoir en être les premiers bénéficiaires, sont encore et toujours au cœur des préoccupations de Raymond Février.

Fidèle à ses engagements, il travaille également à construire, pour le Parti socialiste refondé par François Mitterrand, une alliance entre recherche et agriculture. Pour autant, quand la gauche arrive au pouvoir en mai 1981, il ne cherche pas à relancer sa carrière de cadre de la recherche scientifique, même s’il accepte pour une brève période de présider le Cemagref, alors en pleine réflexion sur son avenir. Préférant s’investir dans les affaires européennes aux côtés de l’ancien ministre de l’Agriculture Edgard Pisani, devenu commissaire européen chargé du Développement, il s’engage dans le projet de réhabiliter « l’idée de faire de l'agriculture un pôle de décollage de l'économie » (Archorales, p. 90), contre la vision dominante, à l’époque essentiellement industrialiste, de la croissance.

Reçu en tant que membre titulaire de l’Académie d’Agriculture de France en 1981, Raymond Février est chaleureusement accueilli par Jean Bustarret. Et si le nouvel académicien prend le temps de remercier ses maîtres et ses amis, il ne tarde pas à orienter son discours d’intronisation vers sa préoccupation de toujours : l’action, en l’occurrence celle qu’il mène en faveur de l’autonomisation de la recherche agronomique des pays d’Afrique, des Caraïbes et du Pacifique, qui sera sanctuarisée dans le cadre des accords de Lomé de 1983 .

Jusque dans les années 1990, Raymond Février fait bénéficier un grand nombre d’organismes nationaux et internationaux de son expertise. S’il laisse peu à peu le devant de la scène aux nouvelles générations, il offre toutefois à qui le sollicite les ressources d’une mémoire d’une précision exceptionnelle et d’un jugement d’une rectitude absolue. Sa silhouette, son verbe, ses valeurs ont profondément marqué l’histoire de la recherche agronomique et de la défense du monde agricole. Qu’il soit remercié ici pour tout ce qu’il a si généreusement donné.  

1 Voir : Pivoteau Sébastien. Raymond Février et la transmission des savoirs agronomiques In : Transmission et circulation des savoirs scientifiques et techniques [en ligne]. Paris : Éditions du Comité des travaux historiques et scientifiques, 2020 (généré le 24 septembre 2020). Disponible sur Internet : . ISBN : 9782735509010. DOI : https://doi.org/10.4000/books.cths.13668.

2 Comptes rendus des séances de l’AAF, tome LXVIII, année 1982, p. 775-781.

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JOYEUX ANNIVERSAIRE MONSIEUR L'ACADEMICIEN !

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