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Xavier Boivin, Chargé de recherche à l’INRA

23/10/2018

Monsieur le Secrétaire perpétuel, Mesdames et messieurs les académiciens,

Bonjour, Je m’appelle Xavier Boivin. Je suis chercheur à l’INRA, éthologiste, travaillant sur la construction des relations homme-herbivores d’élevage et mes recherches contribuent à ce que j’appelle les pratiques relationnelles de l’éleveur envers ses animaux. Je suis aussi expert pour l’Anses et j’ai appartenu au GT BEA qui a produit la définition du bien-être animal ainsi notamment qu’à l’expertise sur les matériaux manipulables en élevage porcin. J’ai aussi contribué à l’expertise collective INRA sur la conscience animale. LE DÉBAT SUR LA PLACE DE L’ANIMAL DANS NOTRE SOCIÉTÉ, EN PARTICULIER L’ANIMAL D’ÉLEVAGE EST OMNIPRÉSENT SUR LA SCÈNE MÉDIATIQUE. AUSSI, J’ai lu avec un grand intérêt le texte présentés dans le « POINT DE VUE D’ACADÉMICIENS SUR LE « BIEN-ÊTRE ANIMAL » ; ATTENTION AUX MALENTENDUS. » _par Barbara Dufour, Jeanne Grosclaude, Gilbert Jolivet et Gérard Maisse, Membres de l'Académie d'Agriculture de France._

A TITRE PERSONNEL, J’AI VOULU CONTRIBUER À VOTRE DÉBAT PAR CE PRÉSENT COURRIER. JE REGRETTE QUE VOTRE SESSION DE DISCUSSION N’AIT PAS ÉTÉ PUBLIQUE CAR J’AURAI AIMÉ M’ENRICHIR DE VOS ÉCHANGES.Veuillez trouver ci-joint mes commentaires sur certains éléments

Le texte de l’académie d’agriculture écrit : « _Mais en élevage cette « attente » des animaux n'est-elle pas le fruit, d'une part, du travail de domestication et de sélection fait depuis le néolithique et, d'autre part, du phénomène d'apprentissage chez les animaux nés en élevage ? La plupart des animaux d'élevage, bovins, ovins, caprins, équins, gallinacés, palmipèdes, salmonidés, etc. sont devenus, au cours des siècles voire des millénaires, génétiquement très éloignés de leurs ancêtres, qui parfois ont disparu. Une conséquence fondamentale est que le bien-être des animaux d'élevage doit être perçu en considérant le mode et le type d'élevage actuels et non pas à travers une référence à un état sauvage imaginé, parfois disparu, étranger à ces animaux sélectionnés. »_

Cette conception des attentes des animaux en relation avec la domestication, la sélection et un « phénomène d’apprentissage », de même que la référence à la nature mérite effectivement d’être discutée. Le « travail de domestication » n’est pas défini ici en termes de mécanismes, ni même les objectifs de domestication, ni même encore n’est défini ce qu’on entend par apprentissage.

En apparence, cette conception que prend le texte de l’académie semble correspondre à la définition donnée par Price (1999) comme un processus continuel de modifications d’une population par sélection génétique et de changements individuels se reproduisant à chaque génération. Mais on peut y voir également une divergence très importante : L’adaptation des populations en cours de domestication n’est pas complètement contrôlée par l’homme même si elle est provoquée, parfois non consciemment ou involontairement, par des contraintes imposées par l’homme.

Elle provient de mécanismes très divers.

1- Il existe obligatoirement une dérive génétique, des phénomènes de co-sélection génique, qui ne sont pas contrôlés par l’homme du fait de l’existence de différentes populations (races) domestiquées simultanément et génétiquement séparées. De nombreux caractères peuvent aussi ne pas s’exprimer dans un contexte et rester ainsi « cachés » à la sélection.

2- Les caractères sont souvent polygéniques rendant la plupart du temps la sélection d’un caractère longue et complexe. Les objectifs de sélection sont souvent multiples, contradictoires en fonction de la diversité des systèmes d’élevage. Le processus de domestication ne se réalise donc pas sur tous les traits phénotypiques simultanément et de la même façon dans les différentes populations en cours de domestication.

3- Les résultats de la sélection sont soumis fortement à l’interaction entre le génotype et l’environnement. De plus, ces changements peuvent être le fruit de modifications épigénétiques. Les travaux démontrant ce caractère épigénétique sont désormais nombreux.

Pour illustrer ces propos, allons d’abord chercher un exemple chez les rongeurs de laboratoire. Pour des besoins de recherche, les rats sont devenus standards, homozygotes, vivant dans des milieux contrôlés (cage standard), où lumière, température, alimentation peuvent être identiques dans le monde entier. Dans ce projet ratlife (ratlife.org) de l’université d’Oxford, les chercheurs ont observé des rats de différentes races, au sens de populations différenciées, utilisés en laboratoire dans un milieu beaucoup plus riche, soumis à un environnement diversifié, une alimentation variée et inconnue, la présence de prédateur potentiel… Dans ces conditions es animaux ont montré des comportements très peu explicables par un unique processus de sélection humaine ou d’apprentissage et qui se sont avérés finalement assez semblable à ceux de populations sauvages.

Si nous revenons aux animaux domestiques, les porcs expriment des comportements de recherche alimentaire quand ils sont élevés sur paille. Malgré des générations de domestication, ils montrent une attraction forte pour des matériaux manipulables quand ils sont élevés sur caillebotis et développent des stéréotypies en l’absence de matériaux manipulables (voir le Rapport de l’Anses sur les matériaux manipulables en élevage porcin).

De même, la variabilité individuelle et son origine génétique peuvent se révéler dans un contexte de moindre proximité avec l’homme et certains animaux peuvent ne pas supporter la présence humaine malgré des millénaires de « domestication » alors que d’autres peuvent être beaucoup plus faciles (ex Boivin et al, 1994, Le Neindre et al, 1996, Venot 2015).

A mon avis et compte-tenu de ce qui est dit ci-dessus, on se doit donc, quand on s’intéresse aux conditions de vie des animaux qui sont sous notre responsabilité, de se préoccuper de leurs prédispositions, qu’elles soient effectivement génétiques, épigénétiques ou construites du fait de leur expérience de vie individuelle. Leur histoire de population est importante à prendre en compte, autant dans leur passé sauvage que sous l’influence humaine. En accord avec l’opinion de l’académie, leur passé sauvage n’est pas une référence absolue, ni même imaginée. Par contre, l’observation des comportements sauvages est bien une source d’hypothèse et d’inspiration pour bien répondre à leurs besoins et leurs attentes.

Le texte de l’académie écrit aussi : « _Tous les systèmes d’élevage, tous les compagnonnages autres entre humains et animaux (animaux de travail, de loisir, de compagnie), sont issus de la capacité des hommes à exploiter les espèces animales pour les adapter à ses propres besoins, notamment par l’amélioration génétique au cours des siècles de sélection. Il s’agit donc bien d’une relation hiérarchisée entre éleveur et animaux élevés, constitutivement fondée sur une relation de confiance entre homme et animaux, socle de la bientraitance_».

Certains auteurs, dont je fais partie, considèrent que nous n’avons domestiqué que les animaux qui avaient des prédispositions à pouvoir l’être. Ces populations animales ont ainsi pu conquérir une nouvelle niche écologique : la niche humaine avec ses pressions de sélection spécifiques. Cela a favorisé leur succès reproducteur et leur développement. Sous cette conception, la domestication devient alors un processus qui n’est pas totalement unilatéral comme le texte le sous-entend peut-être de façon réductrice. La dernière phrase parle de « relation de confiance entre éleveur et animaux », nécessaire à la bientraitance. J’y souscris car elle positionne l’animal comme un partenaire de la relation. Si l’animal refuse la présence de l’homme comme certains bovins peuvent le faire, alors l’homme et l’animal ne peuvent pas cohabiter. J’y souscris aussi car « avoir confiance » signifie que les interactions deviennent prévisibles et positives pour chacun des deux partenaires de la relation et qu’on attribue de fait des états mentaux aux animaux. Chacun avec ses caractéristiques propres a une représentation fonctionnelle de l’autre partenaire. Pourtant les auteurs sont très surpris par l’utilisation du terme « attente » et « positif » dans la définition de l’ANSES. Cette apparente contradiction entre le début du texte qui critique la notion d’attente et la fin de leurs propos m’interroge.

Pour aller plus loin, un lecteur intéressé peut retrouver ces idées dans un chapitre d’un ouvrage que j’ai écrit (chapitre 15) et qui vient de sortir : Animal Welfare in a changing world. Edité par E. Butterworth. CAB International 2018.

Soyez assurés, Monsieur le Secrétaire perpétuel, Mesdames et Messieurs les académiciens, de toute ma considération.

Xavier Boivin, Docteur en éthologie URMH, INRA Chargé de recherche à l’INRA Responsable de l’équipe Comportement animal, Robustesse et approche intégrée du Bien-Etre

Réaction au "Points de vue d'Académiciens" intitulé : "Bien-être animal : attention aux malentendus ! https://www.academie-agriculture.fr/publications/publications-academie/points-de-vue/bien-etre-animal-attention-aux-malentendus