L’histoire contemporaine montre combien le contrat de confiance entre la science et la société a évolué de crises en crises qu’il s’agisse de guerres, de catastrophes naturelles, de crises sanitaires et environnementales, de pandémies. Quels sont les ressorts aujourd’hui de la relation de confiance entre nos concitoyens et la connaissance scientifique ? Que nous indiquent la crise pandémique que nous traversons mais aussi les crises antérieures sanitaires, alimentaires, environnementales ou récemment les mouvements prédisant l’effondrement de la planète ? S’en dégage-t-il de nouveaux mécanismes sociaux et cognitifs à l’égard de la confiance ? Quelles leçons peut-on en tirer ?
Un sondage de l’Ifop du 28 mars 2020 indiquait que 26 % des français, soit un quart de la population, croyait que les scientifiques avaient intentionnellement créé le SARS-COV2. Le journal Le Monde évoquait aussi à cette même date la multiplication de vidéos de nature complotiste dans de nombreux pays, dont l’une, française, supprimée des réseaux mi-mars, sur l’« invention » d’un coronavirus en 2014 par l’Institut Pasteur ! Un autre sondage en avril indiquait qu’un quart des français refuserait le vaccin contre le coronavirus. Ces constats qui ne cessent de se multiplier, interrogent à plusieurs titres.
D’une part les propos complotistes sont la face visible instrumentalisée de visées géopolitiques et remettent en avant le débat quant aux relations difficiles des sciences avec la politique. D’autre part, il pointe du doigt la permanence des croyances de toute nature dans nos sociétés. « Les convictions sont des ennemis de la vérité plus dangereux que les mensonges » disait F. Nietzsche. (Humain, trop humain, 1888). Le débat sur l’usage de l’hydroxychloroquine a été à cet égard intéressant, car il témoigne d’enjeux de véracité, de méthode expérimentale, d’éthique médicale mais aussi d’expertise, de médiatisation, de relation avec le politique, de décision, ceci dans une situation d’urgence sanitaire majeure.
La confiance se comprend d’un point de vue philosophique dans son rapport à la vérité et met en jeu trois catégories de valeurs différentes : la sincérité et l’authenticité ; la justesse d’une décision d’action et sa conformité aux normes ; l’exactitude du constat d’un fait. On sait que le domaine de l’enquête scientifique est quasiment illimité, qu’il progresse sans cesse, que « la science » n’est pas une chose arrêtée, définie par des limites, mais juste le contraire. La confiance qu’on lui accorde repose en premier lieu sur l’exactitude du constat des faits, au centre de cette démarche dynamique. La confiance dans l’expertise scientifique repose, quant à elle, sur la seconde catégorie. L’expertise vise en effet à arrêter un constat dans la perspective d’une décision et à la justifier au regard des normes sociales en cours. Quant à l’information, elle est jugée à l’aune certes de sa véracité mais très souvent, dans les faits, sur la base de la sincérité et de l’authenticité supposées, du « charisme » de son émetteur. Un doute quant aux conflits d’intérêt d’un expert devient aujourd’hui déterminant pour lui accorder confiance.
Cependant, la confiance est aussi profondément relationnelle. Les sciences humaines et sociales le montrent. Cum-fidere nécessite de se dessaisir d’une partie de soi-même pour la confier à l’autre, de croire en l’autre et la confiance relève d’un contrat. Confiance et croyance sont donc liées. La confiance a aussi à voir avec les risques encourus et la complexité croissante dans nos sociétés. Elle contribue à la réduire autant que faire se peut, même si les crises de confiance émaillent notre histoire. De nouvelles attitudes sociétales apparaissent dont témoignent notre relation à l’alimentation mais aussi l’audience des théories effondristes ou encore le recours de plus en plus fréquent aux tiers de confiance, pratique issue des transactions numériques.
Les controverses sociotechniques qui se déroulent dans l’espace public font l’objet d’interventions et d’arbitrages par des tiers, qu’ils soient juges, journalistes, public, ou encore institutions contribuent-ils alors à bâtir la confiance dans les sciences qu’il s’agisse d’enjeux alimentaires ou de santé ? Il faut alors questionner la relation à la vérité, à la véracité que ces tiers entretiennent. Ceci est d’autant plus important que le constat est fait d’un espace public fracturé où coexistent des communautés d’opinion qui fabriquent dans les réseaux sociaux une connaissance qu’elles considèrent crédible, élaborée selon des critères distincts ou partiels de ceux que la science utilise. Michel Foucault avait décrit ce type de processus, en lien avec son étude des régimes de pouvoir, comme des régimes de « véridiction », très présents dans l’espace public aujourd’hui.
La séance du 14 octobre en s’appuyant sur la crise pandémique et d’autres situations examinera quelques uns des ressorts de la confiance dans la science, qu’il s’agisse d’alimentation, d’environnement ou encore de santé. Elle rendra compte de la nécessité plus que jamais actuelle d’un travail approfondi entre les disciplines des sciences exactes et des sciences humaines et sociales pour comprendre les situations sociétales dans lesquelles s’inscrit l’action du monde scientifique. Elle conduira à quelques recommandations.
Directrice honoraire de l’IHEST, membre de l’Académie d’agriculture de France